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louis-ferdinand céline - Page 2

  • Entre Ben et Benoît

    Ce que le politologue yanki Samuel Huntington a vaguement discerné, c’est que la société yankie est à peu près dépourvue de conscience politique. Ce qu’on peut résumer ainsi : elle ignore d’où elle vient et elle ignore où elle va. Derrière les slogans positivistes nazis se cachait à peu près la même inconscience, le même angélisme triomphant.

    En revanche l’expression de “choc des civilisations” est un abus de langage ; pour qu’il y ait choc des civilisations, encore faut-il qu’il y ait “civilisations” ; or si l’islam est une civilisation, elle est archaïsante ; et la démocratie yankie n’est pas une civilisation mais la négation de ce qui fait la civilisation, la négation de l’élan. Examinons la flèche de l’art, plus visible encore que celle de la science. Ce n’est que de façon marginale que l’art émerge aux Etats-Unis. Ezra Pound, isolé dans cette nef de fous, réfugié poétique en Italie, eh bien les Yankis n’ont rien trouvé de mieux que de le traiter comme un alien.

    Mais le cinéma, l’architecture, l’art contemporain yankis, sont d’abord mûs par la volonté de propagande commerciale ou morale. Le procédé cinématographique n’a pas été inventé par les Yankis, mais ils en ont fait la plus grande entreprise iconoclaste, la plus légère industrie de destruction de l’imagination jamais conçue.

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    Pour emprunter à la cinétique, il n’y a pas téléscopage mais simple friction entre l’islam et le capitalisme, entre deux modèles sociaux inertes. La concurrence se joue au-dessous de la ceinture.
    L’islam est un moralisme qui nie la valeur morale du régime démocratique yanki ; et le régime démocratique yanki se fonde sur un moralisme tout aussi fanatique pour dénier toute valeur morale (actuelle) à l’islam.
    Pour prolonger le parallélisme : idéologiquement l’islam nie toute forme d’évolution, politique autant que biologique ; mais le capitalisme nie aussi l’évolution, de façon plus sournoise, en s’affirmant comme le terminus de l’évolution politique ; pour ce qui est de l’évolution biologique, la société civile yankie l’affirme, mais elle n’a pas de sens, elle n’est anticipatrice de rien en dehors des films de science-fiction de S. Spielberg. Fatalisme contre relativisme, refus d’embrayer contre débrayage.
    Quel régime illustre mieux l’harmonie entre le capitalisme et l’islam que le régime saoudien, qui superpose le capitalisme le plus radical à l’islamisme le plus fanatique et qui a produit Ben Laden ? Pour viser Manhattan et le Pentagone, pour comprendre aussi bien les Etats-Unis, il fallait être Saoudien. La foi dans les mathématiques et la géométrie des musulmans et des Yankis, c’est le point de tangence. On peut anticiper l’absorption de l'islam dans le capitalisme (Houellebecq), aussi bien qu'on peut prévoir l'absorption des Etats-Unis par l’islam.

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    Bien sûr il y a des électrons libres, des personnalités intermédiaires. Ainsi Tariq Ramadan.
    Ce que je vais dire est sans doute excessivement théorique pour une fois, mais tant pis. Après tout l’intuition est le sixième sens de l’Occident.
    Je postule l’amour de Tariq Ramadan pour Voltaire. Dans ce cas ce théologien comprend mieux Voltaire que la Sorbonne nouvelle ne l’explique.
    Car Voltaire se situe exactement à la charnière, entre le fanatisme exprimé par Pangloss et la honte du fanatisme exprimée par Candide. Voltaire oscille entre ces deux pôles. On pourrait presque dire : c’est un fanatique, un positiviste honteux, ou un faux fataliste. Du voyage initiatique de Voltaire à celui de Céline, il n’y a d’ailleurs qu’un style qui tient à quelques bains de sang.
    Céline est un faux nihiliste lui aussi, nul besoin d’être un grand psychologue pour le deviner. Le Voyage de Céline est une transposition populaire de voyage de Candide. Bien au-dessus des guides touristiques Chateaubriand ou Proust. Si Ramadan était vraiment byzantin, c’est la littérature de Proust qu’il devrait citer, pas celle de Voltaire.
    Comme l’oscillation de Voltaire est aussi un branle, un mouvement libre, aspiré par cette pente occidentale, vers quoi Tariq Ramadan peut-il évoluer sinon vers un islamisme radicalement différent de l’islamisme fondamental ? Mais ceci est une autre histoire.

  • Laisser-Allais

    Quand Alphonse Allais inaugura l’art contemporain en grandes pompes (de clown) il y a plus d’un siècle, galerie Vivienne, déjà la civilisation montrait des signes de faiblesse. Toutes les conditions étaient réunies pour commencer de désespérer.
    Malgré tout Allais s’accroche à la légèreté française : avec lui les illusions valsent, au lieu de foutre le camp, comme chez Céline.

    L’humour potache érigé en art, le calembour élevé au rang de science, etc., il y a tout ça chez Allais, viking futuriste tiré à quatre épingles. Il possède dans sa pharmacie l’antidote au conformisme et à l'ennui démocratique. Il y a tout un tas de fioles cocasses. Un gugusse comme Finkielkraut, par exemple, improbable encore naguère, rendu possible aujourd’hui, semble sortir tout droit d’un conte défait d’Allais.

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    Il ne faut pas séparer abusivement Alphonse Allais de Léon Bloy. Le génial maniement de la langue, Bloy s’en rapproche aussi. Quant à Allais, il n’a rien d’un évolutionniste béat, c’est pour le moins un athée subtil comme on n’en fait plus.
    Les deux amis faisaient la paire de désespérés. Désespérés, qui, paradoxalement, redonnent espoir ; aussi isolés soient-ils au milieu de la mer des démocrates-crétins, ils brillent comme un fanal dans la nuit.

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    Céline a pris le relais, donc. À ce propos, on observe qu’un des effets de la démocratie, du capitalisme, a été d’anéantir ou presque la culture populaire.
    Après tout un fin lettré, un “humaniste” trouvera encore y compris dans des bouquins récents de quoi satisfaire sa curiosité intellectuelle. Les sources du savoir et de l'érudition, grâce à quelques-uns, ne sont pas complètement taries. Mais que reste-t-il de la littérature, de l’art populaire, que Céline et Allais incarnaient ?
    Bien sûr il y a des types louches comme Patrick Besson, quand ce ne sont pas carrément des abrutis comme Guillaume Durand, pour vous expliquer que Jean-Marie Bigard, Harry Potter, Louis de Funès ou Amélie Nothomb, c’est de la littérature populaire. Mais c’est ce qui s’appelle se moquer du peuple.